Dodécathlon 20.12

Après 20 ans, maintenant 12 mois, pour 12 défis un peu fous...

lundi 15 octobre 2012

A tout le moins un décathlon de fait !


À Québec, vers 16h00 samedi 13 octobre 2012...
Samedi après-midi, 13 octobre 2012, un coureur arrive, anonyme, à travers la foule des touristes, indifférents à son existence, qui font promenade sur le parvis boisé du Château Frontenac.  Il s'asseoit seul sur un banc public faisant face au Fleuve St-Laurent.  Personne ne porte attention à ce coureur qui s'est amené à petits pas -d'ailleurs guère impressionnants- sans tambour ni trompette, à exactement 15h24.  Sans fanfare sans médaille sans spectateur il est là, immobile, habillé de culottes de course et d'un sac d'hydratation high-tech.  Sur place, aucun bénévole ne vient lui remettre un t-shirt de coton qu'il pourrait le lendemain porter au bureau comme pour dire, à l'image des athlètes qui reviennent d'un événement majeur: "vous voyez, je l'ai fait, moi aussi j'étais là".  Aucun souvenir tangible à montrer fièrement pour vaniteusement exhiber sa prouesse ou pour rappeler à sa propre mémoire le chemin arpenté.  Seulement la satisfaction sourde de se dire mission accomplie et, disons-le, tout de même une vague pensée pour tous ceux et celles qui, de loin, comme sur ce blogue, suivent l'aventure avec intérêt ou curiosité... 
Frais comme une rose. 
10h30 à la Croix du Mont-Royal (Montréal)
 
Approximativement 293 km, en empruntant la 132, séparent la basse ville de Québec du sommet du Mont-Royal.  Je sais ça...comme je sais maintenant que cela peut se courir, à tout le moins que moi je puis le faire, en 35 heures et 24 minutes étalées sur quatre jour.  Je pourrais partir du même point de départ pour arriver à la même destination en moins de temps que cela en passant par un autre chemin (ex: la 138 ou la 122).  D'autres ont avant moi fait ce choix.  J'ai par principe opté pour une traversée de la région Centre-du-Québec, là où j'habite, même si cela signifiait d'allonger d'une trentaine de kilomètres la distance totale. 
 
Entre le mercredi matin 10 octobre à 10h40 et le samedi 13 octobre à 15heures 24, j'ai donc pu maintenir une moyenne de 7:14/km en incluant les arrêts inévitables pour grignoter (sans vraiment interrompre la course), changer de vêtements selon la météo, mettre en charge le lecteur MP3, etc.  En excluant ces arrêts, j'ai eu besoin d'environ 33 heures, soit de courir à un rythme avoisinant 6:30/km.  La vitesse ne fut cependant pas constante, régulière.  Elle dû changer au gré des nombreux cycles physiques ou mentaux... 
 
7h38: matin du 2e jour.  Départ du point d'arrivée de la veille.
Plus précisément, j'ai fait 71 km le premier jour, me limitant volontairement à courir durant sept heures pour apprivoiser le processus.  J'ai ainsi arrêté la journée à l'entrée de Sorel-Tracy.  Je signale que j'ai tout de même fait le premier 42.2 km (le marathon) en 3h46.  Le second jour, j'ai fait 85,5 km pour, 10 heures plus tard, arrêter mon chemin à Ste-Angèle-de-Laval.  Le lendemain, après un autre 10 heures de course, je clôturais la journée à St-Édouard-de-Lotbinière 76,5 km plus loin.  Enfin, au quatrième jour, je me rendais en 8h24 jusqu'au au point d'arrivée à Québec 61 km plus loin.  Quand on y songe, cela fait tout de même sept marathon en 4 jours.  
 
7h34: matin du 3e jour,
 Église de Ste-Angèle-de-Laval,
point de départ et d'arrivée de la veille
Il n'y a pas eu de véritable faits saillants durant la course.  C'est peut-être même ça le fait saillant: l'absence de rebondissements.  Je me suis certes tordue une cheville durant la première journée, mais ce ne fut qu'un désagrément passager comme il dû y en avoir d'autres que j'ai déjà oublié.  Je me suis aussi trompé de chemin à la dernière heure du troisième jour, retardant d'environ soixante minutes la fin de mon expédition et la rallongeant de quelques inutiles kilomètres.  C'est cependant le genre de chose qui, dans des épreuves du genre, sont monnaies courantes si je me fie aux récits récoltés ici et là au fil du temps chez des adeptes de l'endurance extrême.  D'ailleurs, curieusement, deux semaines avant mon défi Montréal-Québec, une coureuse (R.P) me racontait comment elle a dû expérimenter la "joie" d'une erreur de trajectoire la faisant travailler dans la mauvaise direction durant six heures en raison d'une bévue de son guide lors d'une récente course par équipe contenant un volet d'orientation.  J'ai pensé à elle en payant le prix de mon erreur au matin du quatrième jour: quand on compare on se console, n'est-ce pas ?  
 
Au milieu de nulle part à St-Édouard,
7h00 am, départ du 4e et dernier jour (arrivée de la veille)
Posons une étrange, mais honnête question: est-ce que j'aurais pu faire mieux, plus rapidement ? Bien sûr. 
 
Premièrement, j'aurais pu ne pas dormir autant.  J'aurais pu faire autrement que limiter à 10h00 le temps couru quotidiennement.  Or, à chacun la responsabilité de fixer ses propres limites entre ce qu'il juge un dépassement et un excès d'ambition ou capacité personnelles.  En ce qui me concerne, je n'avais pas la volonté ou le besoin de vérifier ou prouver que je pouvais m'abstenir de dormir. 
 
Puis, j'aurais pu aller plus vite si si si...  Si, en premier lieu, je n'avais pas eu aussi mal à l'articulation du genou droit ou à un petit os du pied gauche.  J'aurais ensuite pu aller beaucoup plus vite si je n'avais pas eu terriblement mal aux jambes dans les dernières heures de chaque journée.  Je ne parle pas ici de courbatures, mais d'une douleur qui fait serrer les dents à chaque pas et dont seuls les étirements et un repos semblent avoir raison.  Je soupçonne un problème de dos à l'origine de ces douleurs...  Quoiqu'il en soit, il serait ridicule de dire que j'aurais pu aller plus vite si ceci ou si cela.  On pourrait toujours aller plus vite si quelque chose ceci ou quelque chose cela...  Par exemple, si, dans un 1500m, le lactate sanguin ne s'accumulait pas à ce point en fin de course...  Si, dans un 5000m, un peu plus de Vo2max nous donnait le cardio nécessaire après les premiers kilomètres...  Si, dans un demi-marathon, cette crampe ne nous assaillait pas dans le dernier tiers du parcours...  Bref, si rien ceci ou rien cela n'entravait la performance, bien sûr irions-nous plus vite.  Or, justement, la question est de savoir ce que nous réussissons compte-tenu du fait que les conditions ne sont jamais parfaites et que nous sommes d'une façon ou d'une autre obstrués dans nos possibilités...  J'étais beaucoup plus près, durant le défi Montréal-Québec, d'aller moins vite que le contraire. Il y avait en permanence plus de chances ou de raisons de penser que je ne pourrait me rendre jusqu'au bout plutôt que de motifs pour croire que j'aurais pu faire mieux.  J'ai tenu le coup.  Par moments ce ne fut pas facile, vraiment pas.  
 
Je dois des remerciements à plusieurs amis ou connaissances que je ne nommerai pas, mais de qui j'ai extrait un maximum de recommandations.  Je dois dire que ce sont les simples idées d'un coureur vétéran du bas du fleuve (M.G), ayant lui-même déjà réalisé un tel défi, presque informellement partagées, qui m'ont le plus servi en cours de route.  Je puis à mon tour dire que:
 
- 75 km par jour est un bon objectif.  C'est plus que raisonnable dans ce genre de défi.
 
Quelque part en chemin...
- 6:00/km - 8:00/km, c'est correct.  C'est là une vitesse habituellement très lente pour un coureur de mon calibre (et, au fond, de la plupart des calibres), mais dans une pareille épreuve d'endurance, tout le monde - à moins d'y être longuement et spécifiquement préparé, doit s'attendre à ce genre d'allure.  À moins d'être un spécialiste de l'ultra-distance, penser que l'on peut soutenir une vitesse significativement plus élevée uniquement sur la base de performances antérieures sur de plus courtes distances est un leurre qui témoigne d'ignorance ou de manque d'expérience.  C'est là une idée difficile à accepter pour, par exemple, un coureur d'élite provinciale en course de demi-fond/fond.  Il est effectivement difficile de concevoir, quand on est comme moi habitué à courir aisément durant deux heures en entraînement à un rythme de 13-15 km/h, qu'il puisse être ardu de maintenir une cadence moyenne au-delà de 7:00/km. 
 
- Manger deux fois par jour un vrai repas est nécessaire et, entre ça, ingérer ce qui "passe" est suffisant quitte à ce que ce soit peu de chose: bouillon, fruits, yogourt, coke, eau, jus, etc.  On peut faire longtemps sur nos réserves pourvues qu'on évite la déshydratation ou l'hypoglycémie.
 
-  C'est la troisième journée la pire.  Mentalement ou physiquement, je ne saurais dire, mais je concède que c'est elle qui affecte le plus. 
 
- Il est acceptable de marcher d'abord quelques temps lors d'un ravitaillement sur une pareille épreuve, puis de repartir progressivement la course.  Dans mon cas, la clé fut souvent d'arrêter 2-3 minutes à chaque heure, puis de marcher 2-3 minutes avant de me remettre à courir mollement durant 5 minutes, puis d'accélérer légèrement durant 5 autres minutes pour, enfin, tenter de "courir pour vrai" durant les 45 dernières minutes de chaque heure.  Ainsi, je pouvais mentalement séparer la journée en morceaux où à chaque heure un semi-répis bienfaiteur prenait place et allouait ainsi à l'esprit ou au corps la capacité de soutenir une allure davantage honnête le reste du temps.   
 
Au matin du 3e jour,
le long de la 30 aux alentours de Gentilly II
Parlant d'allure, de vitesse, de résultat... il y a quelques saisons de cela, un des 10 plus rapides coureurs actuels du Québec me disait qu'à ses yeux, tout ce qui était au-delà du marathon (42.2km) en terme de distance n'était pas de la performance.  Un peu dans la même veine, j'ai souvent lu des interrogations de coureurs chevronnés dans des forums se demander si tel ou tel coureur africain qui ne fait pas d'ultramarathon battrait tel ou tel coureur adulé dans le petit mond de l'ultra-distance.  J'ai, depuis cette année, et encore davantage depuis mon expérience Montréal-Québec, des réponses claires: oui il s'agit d'un genre de performance, tout à fait honnête en son genre même si plusieurs s'y engagent en dilettante et non un coureur de haut niveau ne gagnerait pas contre un des bonzes de l'ultramarathon.  Il est inutile d'être rapide sur de courtes distances pour exceller dans les longues distances si rien n'accompagne ces qualités de vitesse, dont l'entraînement spécifique, l'attitude approprié, et le bagage nécessaire.  Alberto Salazar n'est pas une exception: il avait l'attitude pour gagner le Comrades Marathon... 
 
Je réalise que d'encaisser 5000km d'entraînement par année depuis au moins trois ans et près de 50 000 km depuis 20 ans m'a préparé à ma performance du défi Montréal-Québec.  Je n'aurais pas eu le même résultat avec, par exemple, la moitié moins de kilomètres dans les jambes.  Ce volume d'entraînement m'a surtout appris à courir les jambes "mortes", à savoir que je peux courir sur des douleurs articulaires ou musculo-squelletiques aigües.  C'est quelque chose que j'ai découvert en allant jogger au lendemain de marathons.  C'est aussi ma leçon d'une expérience comme l'Endurrun ou encore de mon défi du mois de juin (courir toute une nuit) ou même de celui du dénivellé 5000 au mois de septembre.  Mon défi du mois de juillet m'a pour sa part montré que je pouvais aligner plusieurs jours d'extrêmes efforts.  Enfin, toutes mes lectures, nombreuses, à travers les années,ou toutes mes connaissances issues du partage avec des coureurs rompus aux ultra-distances, m'ont chacune enseigné quelque chose d'utile sans quoi je n'aurais pas fait la distance en 35 heures, voire sans quoi je n'aurais pas su compléter le défi.  Comme entraîneur d'athlètes au talent nettement plus élevé que le mien, je puis affirmer sans frémir, en intime connaissance de cause, que la quasi totalité des athlètes, indépendamment du talent, n'auraient pas complété le défi Montréal-Québec et que peu aurait su le faire plus rapidement que moi, et ce, non pas par manque de capacités de vitesse ou d'endurance mais par manque du bagage général requis pour y arriver.  Il faut peut-être, d'ailleurs, avoir une perspective particulière sur la notion de blessures pour arriver à faire un pareil défi...    
 
Avec mon père, Gilles (Campeau),
devant le Château Frontenac
Je souligne l'apport de mon père sans qui une pareille expérience n'aurait pas été possible.  Il vallait mieux avoir, par nécessité de sécurité et de logistique, un véhicule de support avec, dedans, un être humain pour aider à l'aventure.  Je remercie mon père, Gilles, d'avoir joué ce rôle ingrat, car monotone, durant quatre jours.
 
Enfin, je précise que je remettrai cette semaine l'argent amassé pour la Fondation Terry Fox et qui tient lieu de 10ième défi du Dodécathlon.  J'indiquerai seulement, en un chiffre, le montant amassé en cours d'année.  Je ne m'attends pas à une somme faramineuse, mais ce sera tout de même pour moi le plus que j'aurai jamais fait à ce chapitre par l'intermédiaire de la course. 
 
Sinon, je vais tenter au mieux de ramener certaines parties de mon corps à leur état fonctionnel habituel pour la course.  Je ne promets rien pour la suite du Dodécathlon après le défi Montréal-Québec.  Au moment où j'écris ces lignes, il est trop tôt pour dire si mes douleurs sont de momentanées ou profondes blessures.  A suivre.






 
P.S. Si vous avez tout lu jusqu'à ce point, c'est -outre que vous êtes intéressé envers le Dodécathlon, ce dont je vous remercie- que vous n'êtes pas de ceux pour qui un texte n'a d'intérêt que dans la mesure très occidentale  et contemporaine où il s'exprime en moins de 140 caractères...  Il est vrai que les maîtres zen arrivent à dire quelque chose de profond avec un koan de quelques mots ou qu'un beau petit haïku japonais signale toute la richesse d'une fausse simplicité.  Par contre, comme dans ces deux exemples, l'extrême brièveté requière du lecteur une interprétation empreinte, généralement, de longues méditations et analyses.  A défaut de ça, on tombe dans l'édulcoré, le simili-contenu, le factice et la frivolité habituelle.  Je laisse cette dernière option aux gazouillis -que le mot est juste- des réseaux sociaux.  Dans la bloguosphère, pourtant guère mieux, résistons encore.  Nietzsche et St-Thomas d'Aquin auraient possiblement tenu un blogue aujourd'hui, mais ce n'est pas sur Twitter qu'ils auraient livré la Somme Théologique ou Zarathoustra.  Le blogue du Dodécathlon n'est pas la Phénoménologie de l'Esprit ou la Critique de la raison pure, (c'est un blogue de course à pied, pas de philosophie) mais, de par son contenu, son esprit ou ne serait que les expériences qu'ils recouvrent, ce n'est pas non plus une bête section du Journal de Montréal ou de Summum.  Résistons mes frères.  Prenons l'espace ou le temps qu'il faut pour lire, penser et s'exprimer en dehors du nivellement par le bas qui assaille de partout.     
  




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